Wang Hsin, pionnière de la photographie documentaire

Adepte du noir et blanc dans les années 70, Wang Hsin s’émancipe de la tendance du moment, la photographie de salon, pour aller documenter des vies et des visages dans leur vie quotidienne. Ceux des peuples aborigènes de Taiwan, les Tao qui peuplent l’ile des orchidées, les Atayal de la région de Wushe. Elle est d’ailleurs la seule photographe à être représentée parmi les 30 femmes aventurières, toutes artistes qui ont marqué l’histoire de Taiwan, de la rétrospective 1930-1983 qui se déroule en ce moment au musée des Beaux Arts de Taipei.

Aimable crédit de l'artiste
Aimable crédit de l’artiste/ Extrait de l’ouvrage ‘Farewell Orchid Island’

 L’exposition intitulée : ‘Women adventurers : five eras of taiwanese art 1930-1983’, se décline sous le ton de l’aventure et du passé. Il fallait en effet une bonne dose de courage et de confiance en soi pour s’affirmer en tant qu’artiste à une époque où la société taiwanaise était encore très figée, où le rôle traditionnel de la femme n’était pas de vivre et d exprimer artistiquement ses rêves, ses idées.

Aimable crédit de l'artiste/ Autoportrait
Aimable crédit de l’artiste/ Autoportrait

Les clichés de Wang Hsin sont considérés d’un genre nouveau à Taiwan dans les années 70: scènes de vie dans les villages aborigènes de Taiwan, des buffles d’eau prenant un bain dans le lit de la rivière ici, des portraits de femmes atayal tatouées là, et voici un enfant barbouillé de poussière qui revient des champs après une dure journée de labeur. On dénote sans conteste l’aspect documentaire des clichés de la photographe, dont chacun d’entre eux présente des détails représentatifs d’un peuple, de sa culture, d’une époque.

Si on s’est habitués auxclichés Noir&Blanc représentatifs d’une époque révolue, ce n’était pas le cas il y a encore une quarantaine d années à Taiwan. La photographie à Taiwan, ou ce qu’on en connaissait, c’était la photographie de salon ; des clichés sous la lumière du studio du photographe, photos de familles posées que l’on prend après s’être rasés de près et avoir blanchi la chemise des enfants.

Wang Hsin a toujours aimé l’art mais a opté pour les sciences animales parce qu’au programme scolaire de l’époque, les élèves en sciences humaines étaient soumis à l’étude des ‘Trois principes du peuple’, la doctrine San Min, développé par Sun Yat Sen pour une Chine libre : démocratie libérale, nationalisme et justice sociale. Les campagnes de propagande du parti sont au cœur de l’éducation des Taiwanais et les études scientifiques étaient une niche pour y échapper quelque peu.

Après avoir obtenu sa licence à Tokyo elle profite de la liberté que lui offre l’éloignement géographique d’être basée au japon, loin de ses parents pour aller envers et contre les recommandations de ses professeurs et les récriminations de sa famille : elle va étudier l’art, ce sera la peinture ou la photographie, ce fût la photographie. Elle reste au japon deux années durant pour s’y consacrer Tokyo Photographic College. Son parcours est lancé…

Aimable crédit de l'artiste
Aimable crédit de l’artiste

 De retour à Taiwan, Wang Hsin se spécialise dans ce qui la touche : la photographie narratrice d’histoires, le pouvoir de l’image sur les mots. ‘A trip to Wushe’, est une série de photographies qu elle a prises en 1973 à Wushe, un coin montagneux peuplé d’aborigènes dans le comté de Nantou. Justement, elle y habite et y enseigne. C est parce qu elle a l’impression de bien connaître cette région et ses habitants qu’elle s’intéresse à eux et cherche à rétablir la justice sur ce peuple par le biais de la photographie. « Je voulais retracer la réalité de leur vie », dit-elle à travers cette série, rectifier les incompréhensions et les discriminations qui pèsent sur ce peuple à cause des préjugés de la population taiwanaise des Hans venus du continent chinois. Une discrimination certaine visait les peuples aborigènes de Taiwan sous le gouvernement nationaliste qui se sentait supérieurs à eux et leur déniaient des droits.

‘Un voyage à Wushe’ a été exposé au Musée National d’Histoire en 1974. « Les personnes qui ont vues l’exposition m’ont demandé pourquoi il n’y avait pas de personnes au travail sur mes photographies, que des enfants ou des vieillards. Mais c est un fait ! Vous ne pouvez pas imaginez que tous les aborigènes sont paresseux simplement parce que vous en voyez un étendu sur l’asphalte ivre mort. C est le même scénario qui touche un certain nombre de Taiwanais, issus des Hans ! »

Aimable crédit de l'artiste/ Extrait de 'A trip to Wushe'
Aimable crédit de l’artiste/ Extrait de ‘A trip to Wushe’
Aimable crédit de l'artiste/ Extrait de l'ouvrage 'A trip to Wushe'
Aimable crédit de l’artiste/ Extrait de l’ouvrage ‘A trip to Wushe’

Suite à cette première série, Wang Hsin quitte les Atayals pour mieux replonger au cœur de la culture aborigène et évoquer sa mise en péril causée par le développement économique de l’île en plein essor. Elle se rend en effet à l’île des Orchidées en 1974-1975 pour retracer l’environnement local et la quotidien des Dawu, à travers son objectif. Ce peuple qui habite une petite île au large de la côte sud-est, vit en plus grande autonomie que n’importe quelle autre tribu aborigène de Taiwan, tirant leurs ressources de leur petite île : le tarot sur la terre ferme, les poissons volant en mer. La série sur l’île des Orchidées, ‘Farewell Orchid island’ donne lieu à la première publication papier de l’artiste en noir et blanc. C’était en 1982.

Aimable crédit de l'artiste/ Couverture de l'ouvrage 'Farewell Orchid Island'
Aimable crédit de l’artiste/ Couverture de l’ouvrage ‘Farewell Orchid Island’
Aimable crédit de l'artiste/ Extrait de l'ouvrage 'Farewell Orchid Island'
Aimable crédit de l’artiste/ Extrait de l’ouvrage ‘Farewell Orchid Island’

2013. Trente ans plus tard, il s’agit de la toute première fois que l’artiste qui a marqué son temps et le développement de la photographie taiwanaise ré-expose à nouveau certains clichés de ces deux séries au sein de l’exposition ‘Women adventurers : five eras of taiwanese art 1930-1983’ au musée national des Beaux-Arts.

L’exposition est ouverte jusqu’à la fin du mois de septembre, alors bonne visite à toutes et à tous !

6 réflexions sur “Wang Hsin, pionnière de la photographie documentaire

  1. D’après le reportage d’Aurélie, j’adore le travail photographique et la brève biographie de Wang Hsin, vraiment elle est une pionnière de la photographie documentaire !
    Pourrais-je savoir, Chère Aurélie, si Wang Hsin à un site Web ou l’on peux découvrir son exposition ?
    …Je ne vis pas à Taiwan et je ne peux pas visiter la galerie de ses photographies où elle expose…

  2. aurelie

    Cher Sabine,
    Malheureusement non, notre photographe est partisante de la publication de photographies dans la presse; une image à la fois pour augmenter le pouvoir de l’image. Elle a un blog en chinois dans lequel elle exprime son rapport à la photographie et la manière dont elle traite ses sujets mais pas de site (à ma connaissance) qui présente ses séries. Etonnant d’ailleurs qu’elle donne place aux mots sur son blog alors qu’elle croit en la force des photos.
    J’ai d’ailleurs eu bien du mal à compiler quelques photographies qu’elle a prise pour vous les présenter dans cet article. Si jamais elle se décidait à ouvrir un blog, je vous enverrai l’adresse 🙂

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