Divinités au comportement pas si divin

Il y a peu de temps de cela, nous présentions l’histoire d’un jeune berger du comté de Tainan qui est parvenu à l’immortalité à force de méditation. Ce petit Ginakung de Tainan (Ginakung signifiant garçon divin aux origines inconnues) avait en effet découvert un lieu propice à la réflexion sur une colline boisée. C’est sous un arbre millénaire à l’apparence peu commune que l’enfant, par ailleurs orphelin selon la légende, a quotidiennement repoussé ses limites, atteignant un beau jour l’illumination tant recherchée. Jusqu’au dernier jour de sa vie, il n’a cessé de méditer. Après sa mort, les villageois ont recouvert son corps d’une natte et celui-ci disparu mystérieusement peu de temps après. On compris alors que cet homme ne faisait plus partie du commun des mortels. La légende ne s’arrête pas là pour autant …

Une représentation classique des Cinq Généraux qui interviendront dans la suite de notre histoire du jour

La méditation est l’un des nombreux chemins qui mènent théoriquement à l’illumination. Pour les bouddhistes, c’est certainement la voie la plus longue, mais c’est aussi la plus sûre, celle qui conduit presque invariablement au succès pour peu qu’elle soit pratiquée de façon assidue et sérieuse. Le principe de la méditation est de faire fi de toute pensée parasite et de laisser couler l’esprit, le laissant se fluidifier pour qu’il entre ensuite dans un état de réflexion poussée. En réalité, le cerveau est comme un muscle. A force de pratique et d’entrainement, il permettra à … disons, son propriétaire, de repousser ses limites dans ce domaine. Généralement, on imagine que la personne en question en profite pour cultiver l’humilité, le don de soi et toutes ces choses qui feront d’elle un être accompli.

Cela étant dit, revenons maintenant auprès de notre petit Ginakung de Tainan. Quelques temps après son accès à l’immortalité, il voit débarquer sur sa terre sacrée les Cinq Généraux Célestes conduits par le Troisième Prince (Nezha). Le groupe revendique la propriété du terrain. Revendication rejetée par Ginakung qui estime qu’elle lui revient de droit puisque … il était là le premier.

– en aparté : entre nous, cette mise en scène du 18ème siècle est toujours très moderne, car elle nous rappelle un problème actuel : la souveraineté de Tiaoyutai – Senkaku –

Ginakung déclare qu’à l’endroit où il a accédé à l’immortalité sont enterrées des aiguilles de bronze. Selon lui, c’est une preuve qu’il est dans son bon droit. Les Cinq Généraux affirment de leur côté qu’ils avaient déjà repéré cet endroit magique il y a bien longtemps et qu’ils avaient enterré des pièces de monnaie en bronze. On fait alors appel à la divinité du sol, Tudigong, pour qu’elle vienne trancher l’affaire. En creusant le sol, on retrouvera bien les aiguilles de bronze … chacune traversant une pièce de monnaie. Les anciennes pièces chinoises ont toutes un trou au milieu. Tudigong ne pouvant régler le contentieux, il repart dans son coin, laissant les deux parties s’arranger entre elles.

Une seconde version des Cinq Généraux. Remarquez qu’ils sont toujours présentés de cette façon, une petite tête au bout d’un bâtonnet. On reconnait Nezha au milieu. Deuxième à gauche, ce doit être Erlang, neveu de l’Empereur de Jade et chasseur de démons. Au bout à droite, on reconnait aisément le dieu du tonnerre, Leigong, avec son visage d’oiseau. Si Nezha est toujours considéré comme le chef de la troupe, la composition de cette dernière peut varier selon les régions et les temples. Quoi qu’il en soit, ils sont là pour distribuer des tampons aux vilains.

Avec notre explication sur la méditation en poche, on pourrait s’attendre à ce que tout le monde prenne une chaise et discute de l’affaire sagement. Que nenni ! Oh diable que non !  Le contentieux va déboucher une véritable bataille rangée opposant des armées levées par Ginakung d’un côté et les Cinq Généraux de l’autre. Ce sera une succession de coups, de tampons, de déferlantes d’acier, de cris de rage, de larmes. Pendant des années, les habitants de la région entendront les armes s’entrechoquer chaque après-midi tandis que des nuages de poussières s’élèveront régulièrement depuis la colline.

Il faudra l’intervention de la bodhisattva KuanYin, celle qui entend les complaintes de l’Homme, pour trouver une issue au conflit. Rappelant que le but suprême de chaque partie était le même, soit de sauver le monde, elle enjoignit Ginakung de Tainan et les Cinq Généraux à se serrer la main, puis de faire construire un temple commun où les fidèles de chacun pourraient venir les honorer sous le même toit.

Les propositions les plus simples sont souvent les meilleures. Et c’est ainsi que sera construit le grand temple de Nankunshan dans l’arrondissement Beimen de la supermunicipalité de Tainan. On dit que c’est à l’exact endroit où Ginakung a vu la lumière que le temple a été placé. Bizarrement, il n’y a pas l’ombre d’une colline à cet endroit.

Bref, une histoire qui n’encourage pas à croire que la méditation peut rendre les gens sages 🙂

Typhaine Li a conclu la légende par cette phrase : « Mais ce ne sont que des gamins … « 

4 réflexions sur “Divinités au comportement pas si divin

  1. d...illon

    Tout comme dans les mythologies grecques et romaines, les « Dieux » semblent agir tels des humains … voire des gamins, comme le dit si bien Typhaine

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