Durant de longs siècles, le tonnerre et les éclairs ont effrayé l’Homme. Cette impression de puissance incontrôlable qu’ils dégagent encore aujourd’hui, capable de frapper n’importe où, n’importe quand, ont longtemps inspiré la crainte. Incapables d’expliquer scientifiquement ces phénomènes naturels, les hommes se sont alors retournés vers leurs dieux, les seuls à même de posséder une telle puissance.

Dans la plupart des contrées, le tonnerre et les éclairs seront l’apanage de divinités majeures, que ce soit Thor chez les Scandinaves, Zeus chez les Grecs ou Jupiter chez les Romains.
Cependant, dans l’univers taoïste du monde chinois, le personnage en charge de ces fonctions est une divinité de second rang. Cela dit, en dépit de ce poste inférieur, celui qui répond sobrement au nom de « Dieu du Tonnerre », n’en est pas moins un personnage majeur du panthéon taoïste.
Partout et nul part à la fois, présent mais invisible, tapis dans l’ombre, le Dieu du Tonnerre observe, son marteau levé, prêt à battre le châtiment du prochain condamné.
Méfiance, car au loin, le tonnerre gronde … Qui sera la prochaine victime de la foudre divine ?
Quel étrange mais fascinant personnage que ce « Dieu du Tonnerre » ! Tout à fait d’actualité à Taiwan, la saison des pluies approchant à grand pas, cette divinité assez peu connue du grand public est en réalité le centre de nombreux contes et légendes. Des histoires qui ont façonné puis modifié l’apparence de cet être, tantôt enfant né un soir de violent orage, tantôt homme-singe battant le tambour de guerre au temps des guerres mythologiques, tantôt homme-oiseau armée d’un marteau et d’un burin. Mais peu importe la légende derrière laquelle on se rangera, car toutes ont un point commun : le Dieu du Tonnerre inspire crainte et respect chez l’Homme.

Le Tambour de Guerre
Probablement la plus ancienne de toutes, la légende de l’homme-singe (à ne pas confondre avec celle du Roi-Singe) remonte à l’époque de l’Empereur Jaune, personnage mythique fondateur de la civilisation Han. Cette période, troublée par d’innombrables guerres, voit l’opposition de l’Empereur Jaune et Chi You, le Dieu de la Guerre. Les forces accumulées de chaque côté s’affrontent un de ces jours dont la date s’est perdue dans le temps. L’issue paraît indécise, alors, pour galvaniser ses troupes, l’Empereur Jaune demande la construction d’un tambour géant. Un puissant taureau sera tué et sa peau sera utilisée pour réaliser cet instrument à la taille colossale. Pour battre la cadence des troupes, un homme au visage de singe, aux mains se terminant par des serres d’aigle sera choisi. Son corps musculeux, son regard féroce duquel toute humanité semblait s’être volatilisé, faisaient jaillir une force sans pareille. Frappant le tambour de ses puissants bras, il produisait un son que l’on pouvait entendre des centaines de kilomètres à la ronde. Atout de cette bataille décisive et remportée par l’Empereur Jaune, l’Homme-singe s’est vu donner le poste de Dieu du Tonnerre, peut-être parce son puissant roulement de tambour n’est pas sans rappeler ce phénomène naturel.

L’homme-oiseau
Les siècles se succédant les uns aux autres, tout comme les dynasties chinoises, un certain nombre de légendes continueront d’apparaître pour égayer l’histoire de ce personnage. Toutes ne sont pas forcément intéressantes à garder. L’une d’entre elles mérite un regard car elle est probablement fondatrice de ce qui a donné l’apparence actuelle du Dieu du Tonnerre. Nous voilà alors sous la dynastie des Tang (618-907). Un beau jour, une mère demande à son enfant d’aller choisir un poulet pour le repas du soir. Une fois dans le poulet dans ses bras, alors qu’il brandit son couteau pour l’égorger, le garçon est frappé par la foudre. Son âme rejoint alors le Royaume Céleste, en compagnie de celle du pauvre poulet. A titre de dédommagement, on lui confère le poste de Dieu du Tonnerre.

Dès lors, il gardera l’apparence d’un homme à la tête d’oiseau, des ailes lui sortant des omoplates, brandissant un marteau de la main droite et un burin ou un couteau de la main gauche. Le Dieu du Tonnerre devient également une divinité à la solde de l’Empereur de Jade. Ses fonctions sont liées à la Justice. Grâce à son tonnerre, il met en garde les coupables et annonce l’exécution d’une future sentence. Parfois même, il endosse le rôle du bourreau, se faisant porte-parole de l’Empereur de Jade lorsque celui-ci à demandé une condamnation à mort.
Bien qu’il officie généralement seul, le Dieu du Tonnerre a également une épouse à ses côtés : la Déesse des Eclairs. Aux ordres de son mari, elle se contente de frapper les coupables à l’aide des rayons de ses miroirs.

L’Investiture des Dieux
Bien qu’il ait été écrit durant la dynastie des Ming (1368-1644) ce roman fleuve traite d’une histoire se déroulant à la fin de la dynastie des Shang (-1600 à -1100). On y parle de nombreux personnages qui deviendront par la suite des divinités. C’est notamment le cas du Dieu du Tonnerre qui apparaît ici sous l’apparence d’un enfant né lors d’un violent orage. Recueilli par un général, il est récupéré par le Dieu des Nuages qui en fait son apprenti. Bien plus tard, alors que ce dernier lui avait demandé d’aller chercher une arme pour combattre des ennemis, il se retrouve à manger deux pêches magiques. C’est ainsi que son apparence se modifie, son visage arborant un bec d’oiseau et ses cheveux devenant rouge sang. Des ailes lui ont aussi poussé dans le dos.

Puni par les dieux, il se doit de remplir certaines tâches avant de se voir réhabilité, comme celle de repousser une vague de soldats dans une gorge de montagne. Il recevra l’ordre d’y parvenir sans causer la moindre perte dans le cas adverse.
Ce roman est également une importante source d’inspiration pour le culte populaire chinois et bon nombre des personnages divins qui y font apparition font encore l’objet de vénération aujourd’hui. On peut citer Nezha, le troisième prince ou Bigan, divinité de la richesse.

Le culte du Dieu du Tonnerre, de nos jours
Franchement, alors que nous comprenons mieux ces phénomènes naturels que sont le tonnerre et les éclairs, qu’elles peuvent être les raisons qui poussent les gens à encore aller prier cette divinité ?
Peut-être est-ce sa clémence ? Ou tout simplement est-ce le seul fait de la superstition… Que l’on puisse désormais expliquer scientifiquement ce qu’est un éclair, beaucoup aiment encore y voir une manifestation céleste.
Au fond, le Dieu du Tonnerre a gardé cette image de héros façonné par les légendes, un être, mi-homme mi-animal, au service de la justice et de l’Empereur de Jade, l’autorité la plus haute du paradis taoïste.

Pour dire vrai, les temples qui lui sont dédiés ne sont pas foule à Taiwan. Mais en cherchant un peu, on peut trouver son bonheur, comme à Zhonghe, proche banlieue de Taipei. Ici se trouve le temple Piligong, sorte de mélange entre le taoïsme et le bouddhisme, et où la divinité principale n’est autre que le Dieu du Tonnerre. Ce temple Piligong honore aussi la Déesse des Eclairs, l’épouse du Tonnerre. D’autres personnages sont également représentés, comme la bodhisattva Kuanyin (dans sa version qui apporte les enfants), la St Femme sage est là aussi ainsi que le bodhisattva Dizang qui est là pour sauver les âmes des défunts coincées en Enfer.

Le temple Piligong est surtout le temple taoïste le plus ancien de Zhonghe et Banchiao. S’il paraît plutôt récent, c’est dû à de nouvelles restaurations, mais le temple originel date du 18ème siècle. Quelques artefacts sont présents, comme cette cloche ancienne. La décoration et les sculptures du temple s’inspirent en grande partie des légendes du Tonnerre. Plusieurs fresques reprennent des scènes de l’Investiture des Dieux.
Un temple bien atypique, coincé entre des maisons en tôle, un potager et une usine construit à la hâte, le tout au milieu de ce qui ressemble aujourd’hui à une modeste zone industrielle.
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Sympa cette mise en images de l’émission.