A la poursuite des dieux chinois : La Dame du bassin – 池頭夫人

Lundi, en début de semaine, l’émission thématique « A la poursuite des dieux chinois » abordait le cas de ce personnage assez commun, une femme divinisée malgré elle et qui aujourd’hui … semble se perdre dans les méandres obscurs du panthéon des divinités de second rang de la religion populaire. Pourtant, la « Dame du bassin » qui n’a rien d’un équivalent de la « Dame du Lac » des Contes de la Table Ronde, présente des caractéristiques qui sont toujours d’actualité. Et pour cause …

Dame du bassin dans ses habits divins - Jamais je n'aurais dû prendre l'air au bord de ce bassin

L’histoire de cette Dame du bassin, nous ramène dans le Taipei des années 1850. On peut dire qu’à l’époque, Taipei était loin d’être la grande agglomération qu’elle est aujourd’hui. Les immigrés chinois venus du continent étaient alors principalement installés dans deux endroits, à Danshui et à Mengka, un ensemble de ruelles situées au bord du fleuve Danshui et qui est aujourd’hui le quartier Wanhua de Taipei.
Le 19ème siècle est une période assez difficile pour les habitants de Taiwan car durant cette période, les différents clans, soit les groupes originaires de différentes régions en Chine, vont s’affronter sans cesse lors de batailles rangées dans les rues. On peut citer ici les principaux groupes soit : les Zhangzhou et les Quanzhou, toutes deux des préfectures de l’actuelle province chinoise du Fujian. Les Quanzhou sont de même divisibles en plusieurs clans, soit les Sanyi ce qui rassemble les immigrés originaires de Jinjiang, Nan’an et Hui’an. Toujours chez les Quanzhou, on trouve le clan de Hsia-jiao qui regroupe les Chinois originaires de Hsiamen et Tong’an.
Il faut savoir que si en temps normal, ces différents clans arrivaient à cohabiter, ils ne s’appréciaient guère. Des tensions causées principalement par des enjeux économiques, des luttes de pouvoir sur telle ou telle rue, des jalousies et autres, ont accumulé des rancœurs qui ont fini par causer ces guerres de clans durant lesquelles on ne se limitait pas à de simples bastonnades.

Les années 1850 sont certainement les plus tendues. En 1851 et 1853 , le clan Sanyi, que l’on peut considérer comme le fondateur du quartier de Wanhua avec la construction du temple de Longshan (certainement le temple le plus connu à Taiwan ), se débarrasse définitivement des autres clans aux termes de plusieurs affrontements particulièrement violents. Les clans de Zhangzhou et de Hsiajiao quitteront Mengka pour s’établir un peu plus au nord avant de fonder l’actuel quartier de Dadaocheng.
Bien que séparés, les clans continueront à se chercher des poux.

Une version plus traditionnelle de la Dame du Bassin

Un an plus tard, en 1854, les Sanyi organisent les festivités du septième mois lunaire, soit le mois des fantômes. C’est une période chargée et les Sanyi se couchent plus tôt que d’habitude afin de se reposer des journées éprouvantes.
Les Zhangzhou y voient l’opportunité de porter un coup aux Sanyi et profitent d’une soirée pour tenter de piller le temple de Longshan.
Ce soir-là, au bord du bassin du temple, une femme enceinte prenait l’air frais. Témoin de l’intrusion des Zhangzhou, elle tente alors d’alerter ses compères en criant de tous ses poumons. Initiative qui lui sera fatale, les Zhangzhou l’assassinant pour la faire taire et la jetant ensuite dans le bassin. Les membres du clan Sanyi parviennent à mettre en fuite les Zhangzhou. Ce n’est qu’après qu’ils feront la macabre découverte…

Ainsi s’instaure une sorte de respect pour cette femme qui a perdu la vie en alertant ses compères du danger. Les Sanyi la divinisent rapidement et elle trouve une place comme divinité auxiliaire auprès de Zhusheng Niang niang, la Dame de l’accouchement, dans les temples de Longshan, celui de Hsiahai (rue Dihua à Dadaocheng) et le temple Baoan (rue Dalong dans le quartier de Tatung).

Le culte qui entoure ce personnage est assez pervers et il subira plusieurs modifications avec l’évolution des moeurs de la société.
Tout d’abord, ce qu’il faut retenir, c’est que cette divinité est liée aux accouchements difficiles. A l’époque, si on se réfère au 19ème siècle, la place de la femme dans la société est loin d’être enviable. Surtout, on regarde avec un certain dégoût les femmes enceintes, les femmes qui sont en période de menstruation. Le sang, c’est sale. Et comme c’est sale, ça ne plait pas aux divinités.
On prie alors la Dame du Bassin pour éviter de connaître un accouchement difficile, qui produira beaucoup de sang. Mais si la chose se produit quand même, malheur à la pauvre qui sera punie par la Dame du Bassin. En effet, au fil du temps, la Dame du Bassin devient la gardienne d’un enfer où les condamnées (car cela ne concerne que les femmes) doivent purger leurs peines en étant plongées dans un bassin de sang. En gros pour les punir d’avoir accouché dans le sang.

La Dame du Bassin, telle qu'on peut la voir au temple Bao'An de Taipei

Je me doute bien que la plupart d’entre vous seront choqués par cette croyance qui, finalement, ne respecte en rien les femmes, innocentes-coupables d’avoir accouché dans le sang. Pire encore, le fardeau de leur culpabilité ne s’arrête pas là.  Dans la tradition, une femme qui vient d’accoucher passe le mois suivant à manger des plats fortifiants, dont la fameuse soupe de poulet. Ce qui implique de tuer de nombreux poulets, de nouvelles effusions de sang. En bref, une femme qui accouche, fait couler beaucoup de sang et dans une perception plus bouddhiste de la situation, elle accumule les péchés.

Aujourd’hui, beaucoup se demandent pourquoi on prie encore cette femme, martyre et divinisée malgré elle, mais qui a symbolisé, pendant longtemps, la discrimination des femmes dans la société chinoise. Bien sûr, dans la société contemporaine, on ressent parfois, encore une préférence pour les enfants garçons dans certaines familles. Mais on est loin de la discrimination de cette période lointaine.
Les plus passionnés du culte populaire appellent à un renversement, qui se ressent déjà d’ailleurs, en demandant à ce que cette divinité ne soit plus associée à cette fonction de gardienne de l’enfer du bassin de sang. Au contraire, il faudrait la prier pour ses valeurs morales, protectrices dans l’espoir d’avoir un accouchement sans difficulté. Point.

Dans le temple Bao’An de Taipei, on remarquera deux choses. La première, c’est qu’aucune inscription n’est placée auprès de la divinité. Si on ne fait pas quelques recherches, difficile de savoir de qui il s’agit exactement.
La deuxième, c’est que même si vous demandez aux gens qui viennent prier, peu sauront vous dire de quelle divinité il s’agit. C’est notamment le cas de la dame âgée que j’ai interrogée devant la statuette qu’elle venait de prier. « Je ne suis pas sûre, désolée… »
Dans le temple de Hsia-hai, la statuette se perd un peu au milieu de multitudes divinités représentées. Et enfin, au temple de Longshan où tout a commencé, les gens ne sauront forcément vous en dire plus. Toutefois, ici, elle a aussi une valeur de protectrice de ce temple pour lequel elle a perdu la vie. Le plus connu de tout Taiwan …

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